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Thèses et habilitations

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Patrice Baubeau, Les « cathédrales de papier » ou la foi dans le crédit. Naissance et subversion du système de l’escompte en France. Fin XVIIIe-premier XXe siècle

Sous la direction de Michel Lescure, professeur des Universités à l’Université Paris X Nanterre

Résultat de notre recherche, devenu de ce fait le principal objet de cette thèse, le « système de l’escompte » décrit un ensemble coordonné de règles, de pratiques et de conceptions qui apparaissent relativement stables dans le temps long, orientant profondément l’histoire monétaire et bancaire française, même à travers les chocs violents qu’ont représenté les deux guerres mondiales. Il ne s’agit donc pas d’une « histoire immobile », mais plutôt de l’étude des différentes configurations nées de l’articulation d’éléments divers autour d’une opération clé de l’activité bancaire : l’escompte.

D’ailleurs, construit par strates successives et selon des objectifs variés, le système de l’escompte n’a jamais formé un ensemble parfaitement structuré. Au fil des décennies, des habitudes, des normes, des pratiques ou des institutions s’y sont sédimentées, témoignant d’une époque et, ainsi fossilisées, y sont demeurées même après que leur nécessité ou leur signification se fut évanouie.

Dans un premier temps, au cours du XVIIIe siècle, l’économie marchande s’épanouit et entraîne avec elle un vaste mouvement bancaire, monétaire, juridique aussi, qui aboutit à créer des circuits de circulation, de négociation et d’escompte des effets de commerce. Cet essor du papier de crédit se fait largement sans banque – mais non sans banquiers – même si des institutions apparaissent, notamment la Caisse d’escompte. Le phénomène est assez remarquable pour attirer l’attention des contemporains et susciter des réflexions, juridiques ou économiques, qui débouchent sur la formation d’une doctrine cherchant à systématiser les instruments et les règles qui ont émergé de la pratique négociante. Ce « système de l’escompte » en formation bénéficie de plusieurs facteurs favorables, notamment l’affirmation de la souveraineté juridique de l’état sur son territoire et l’émancipation de la réflexion juridique hors du cadre canonique. Mais, par son essor, il devient l’enjeu d’un compromis entre la Trésorerie, qui peut espérer détourner une part de ces flux incessants pour alimenter ses propres besoins, et le commerce, qui craint l’immobilisation des sommes prêtées à l’état.

De là naît un compromis qui marque le début de la seconde phase et qui se concrétise autour de la Banque de France, fondée en 1800. L’état a pris une grande part à cette fondation car la rupture des circuits commerciaux traditionnels a profondément atteint le crédit privé. La Banque se trouve alors confrontée à une injonction paradoxale : créée pour aider au relèvement du commerce, elle doit incarner ce système de l’escompte par sa propre doctrine, formalisée par Mollien. Mais simultanément, et du fait de la faiblesse de ses activités d’escompte commercial, elle forme ses bénéfices en fournissant aux besoins du Trésor. Elle concilie ces deux aspects de sa conduite, peu compatibles selon sa propre doctrine, par la dissimulation de la réalité de ses engagements mais aussi par la confusion entre mobilisation d’un capital et monétisation d’une valeur à échéance prochaine, par rapprochement entre avance et escompte.

L’équilibre ainsi trouvé se révèle pourtant remarquablement stable et permet à la Banque de France d’entraîner tout le pays dans le vaste mouvement de crédit qui accompagne et contribue à financer l’accélération de la croissance qui marque les années 1830. Le siècle qui s’ouvre peut alors, véritablement, être qualifié de siècle de l’escompte : cette opération bancaire se diffuse, le montant moyen des effets décroît fortement et une remarquable concurrence apparaît qui réduit peu à peu le poids relatif de la Banque de France mais lui confère le rôle éminent d’assurer la régularité du système.

La Première Guerre mondiale marque le début de la troisième phase, non par rupture, mais par subversion du système, c’est-à-dire par le détournement de ses finalités traditionnelles au service de l’état. Pourtant, les conditions ont changé : les banques se plaignent de la rareté de la matière escomptable et de la baisse de leurs dépôts, mais profitent, il est vrai, de leurs importants portefeuilles en valeurs du Trésor pour se refinancer aisément auprès de la Banque de France.

En effet, dans le cadre du régime républicain, l’accès à la Banque par un privilège légal devient un signe de sollicitude et d’intérêt de la part de l’état. Les agriculteurs, les hôteliers, les artisans, en profitent tour à tour. Le champ de l’escompte s’enfle démesurément, tandis que se créent de nouveaux organismes publics ou parapublics qui cherchent à diffuser l’escompte auprès de leur clientèle statutaire. L’état en profite directement, en recyclant ses bons du Trésor et autres bons de la Défense nationale dans ce circuit d’escompte.

Une rationalisation est alors entreprise, à travers les circuits du réescompte, qui aboutit à une véritable pyramide du crédit. Fidèle au principe de l’escompte, cette réorganisation bute sur une nouvelle contradiction. Tout en ménageant les intérêts de l’état par un financement monétaire automatique, cet essor de l’escompte nourrit l’inflation, ce qui suscite de nouveaux contrôles de l’état, qui alimente la création monétaire et doit en limiter les conséquences inflationnistes.

La course à l’accès au réescompte est alors achevée : tous y ont droit, dans le cadre d’un « jardin à la française » qui dissimule sous l’élégance de l’ordre classique un bricolage monétaire. Ce dernier entraîne, toujours sous le signe de l’escompte, l’apparition de son dernier avatar : l’économie d’endettement.

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