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Le commerce dans la croissance : le cas de la France au XVIIIe siècle
par Guillaume Daudin (2001)
Nous inaugurons ici des résumés de thèse un peu particuliers, puisque proposés à la lecture plusieurs années après la soutenance : l'idée est de faire mieux connaître une recherche doctorale, mais aussi ses suites sous forme de publications. Pour en savoir plus sur l'auteur, voir son site personnel.
L’objectif de ma thèse est d’étudier deux mécanismes par lesquels l’activité commerciale peut avoir un rôle dans la croissance économique. Le premier mécanisme repose sur la mobilisation des moyens de production. Le deuxième mécanisme repose lui sur l’encouragement de l’accumulation du capital. De manière à éviter la construction de raisonnements économique abstraits sans lien avec le réel, j’ai ancré mon travail dans l’étude d’une situation concrète : celle de la France au XVIIIe siècle. Celle-ci a en effet connu une croissance économique respectable sans que les mutations techniques et institutionnelles puissent l’expliquer facilement : cela en fait un bon terrain d’étude du rôle de l’activité commerciale.
La première partie de ma thèse étudie le rôle que peuvent avoir les intermédiaires dans l’amélioration de l’utilisation des moyens de production préexistants.
Beaucoup des modèles contemporains utilisés pour expliquer la croissance économique s’ancrent dans l’idée que le principal facteur limitant la capacité d’expansion d’une économie est sa capacité technique à produire. C’est négliger, par exemple, que les économies contemporaines n’utilisent à plein ni leurs capacités en travail, ni leurs capacités en capital. Les économies pré-industrielles elles aussi produisaient beaucoup moins qu’elles n’auraient pu techniquement le faire. La croissance économique peut donc venir de l’amélioration de l’utilisation des moyens de production aussi bien que de l’évolution des capacités techniques de production.
J’ai tout d’abord étudié la structure industrielle de la France et l’importance du rôle qu’y jouaient le commerce et les marchands. Puis j’ai montré que les capacités de travail françaises étaient sous-employées : la participation accrue des travailleurs ruraux au marché national était donc un enjeu crucial pour la croissance de la production. Cette mobilisation pouvait se faire par l’action des intermédiaires. Cette mobilisation est au cœur de la fin de cette partie. J’y mets en place un mécanisme de croissance reposant sur la participation accrue des ruraux au marché régional et national. La diffusion de nouveaux objets de consommations d’une part et la création de débouchés pour leurs productions d’autre part les encouragent à produire des biens de meilleure qualité, à destination du marché national. Cela entraîne un progrès du bien-être général. Ce phénomène est rendu possible parce que les intermédiaires étendent graduellement leurs capacités à assurer des échanges pour accompagner la croissance.
Dans la seconde partie de ma thèse, j’étudie le rôle que le commerce extérieur peut avoir dans l’accumulation des capacités des intermédiaires, c’est-à-dire leur capital.
L’activité commerciale est un secteur de production en tant que tel, créant de la valeur et rémunérant donc ses participants. Le commerce international, notamment, par les moyens qu’il exigeait et les liens qu’il entretenait avec les politiques internationales des états, a été une aire d’activité privilégiée pour les acteurs les plus dynamiques des économies préindustrielles : les prospérités de Venise et de la Hollande ont par exemple marqué l’histoire du capitalisme. Tout en offrant des profits importants à ses acteurs, le commerce international peut cependant sembler « détaché » de l’économie nationale : il arrivait souvent que les biens échangés étaient produits et consommés hors du pays dirigeant l’échange.
Ma réflexion s’appuie dans cette partie encore sur l’exemple de la France du XVIIIe siècle. Celle-ci a en effet connu au XVIIIe siècle un développement de son commerce extérieur impressionnant, plus important que celui de la Grande-Bretagne à la même période. Comme nous le rappelle encore aujourd’hui les grands hôtels marchands de Nantes et de Bordeaux, la France formait alors la plaque tournante du commerce des denrées coloniales avec l’Europe continentale.
Dans un premier temps, j’ai recensé les sources dont nous disposons sur le commerce international français : elles confirment son dynamisme. Puis, j’ai étudié les profits des acteurs de ce secteur et montré qu’ils étaient plus élevés que les profits moyens dans l’économie. Enfin, j’ai souligné le rôle qu’avaient pu avoir les revenus du commerce international dans l’économie française. J’ai rejeté la vieille idée d’un secteur qui aurait « irrigué » le reste de l’économie en capitaux. Comme il s’agissait d’un secteur qui offrait des profits supérieurs aux autres, il attirait les capitaux et les hommes plutôt qu’il ne les redistribuait. En raison de ses hauts profits, il permettait aux détenteurs de capitaux d’échapper aux rendements décroissants de l’économie intérieure et encourageait ainsi l’accumulation du capital. Celle-ci aurait cependant pu être sans effet sur le reste de l’économie si les bourgeoisies portuaires n’avaient pas eu des systèmes de consommation résolument tournés vers l’intérieur : le goût pour les offices, les terres, les immeubles, les biens de statut d’origine française empêchait que les ports français deviennent des économies d’enclaves. La consommation assurait le recyclage des revenus des fortunes accumulées à l’extérieur dans l’économie intérieure.
Dans cette thèse, j’ai développé et illustré deux mécanismes par lesquels l’activité commerciale peut avoir un rôle dans la croissance économique : la mobilisation des moyens de production d’une part et l’encouragement à l’accumulation du capital d’autre part. J’espère que ma thèse a, tout à la fois, éclairé certains points sur la réalité et la nature de la croissance française au XVIIIe siècle, et mis en lumière de manière formelle et argumentée des mécanismes de croissance souvent négligés par les économistes.
Publications liées
Commerce et prospérité : la France au XVIIIe siècle, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, 610p, 2005 (en cours de ré-édition)
« Money and capital in the human ecology: rethinking mercantilism and eighteenth-century France » in Human Ecology Economics: A new framework for global sustainability, Roy E. Allen (ed.), Routledge, 2008
« Do Frontiers give or do frontiers take ? The case of intercontinental trade in France at the end of the Ancien Régime », in A Deus Ex Machina Revisited. Atlantic Colonial Activities and European Economic Development, Olivier Pétré-Grenouilleau, Pieter Emmer and Jessica Roitman (ed.), Brill, p. 199-224, 2006
“Profits du commerce international et croissance de la France au XVIIIe siècle”, Revue Économique, vol. 57, n°3, p. 605-613, 2006.
« Profitability of slave and long distance trading in context : the case of eighteenth century France », Journal of Economic History, vol. 64, n°1, 2004
« Comment calculer les profits de la traite ? », Outre-Mers : Revue d’histoire, 2e semestre, pp. 43-62, 2002
« Coûts de transaction et croissance : un modèle à partir de la situation de la France du xviiie siècle », Revue Française d’Économie, XVII, pp. 3-36, 2002
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