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Une consommation aristocratique et féminine à la fin du XVIIIe siècle : Marie-Fortunée d’Este, princesse de Conti (1731-1803)

par Aurélie Chatenet-Calyste

Thèse de doctorat d’histoire moderne sous la direction du Professeur Michel Cassan.

Soutenue le 27 novembre 2010 à l’Université de Limoges devant un jury composé de Mesdames Scarlett Beauvalet-Boutouyrie (Université de Picardie), Natacha Coquery (Université de Nantes) et Messieurs Paul D’Hollander (Université de Limoges) et Bernard Hours (Université de Lyon III).

Née en 1731, fille de François III d’Este duc de Modène et de Charlotte-Aglaé d’Orléans, fille du Régent, Marie-Fortunée d’Este épouse en 1759 Louis-François-Joseph de Bourbon-Conti, comte de La Marche. Elle entre ainsi dans cette branche cadette de la famille de Bourbon. Cependant, le mariage est dès le début un échec. Le couple princier vit une existence parallèle et se sépare en 1775-1776. La princesse du sang mène dès lors une vie indépendante partageant son existence entre son hôtel parisien rue Saint-Dominique et son château de Triel -aujourd’hui dans les Yvelines- au bord de la Seine, acquis en 1781. En juillet 1789, elle émigre et quitte la France pour Chambéry en Savoie, Fribourg en Suisse, Landshut en Bavière, Presbourg (aujourd’hui Bratislava) et enfin Venise où elle meurt en 1803. Pourtant, alors même qu’elle appartient à la très haute aristocratie, elle semble l’archétype de l’illustre inconnue. De son vivant, elle passe inaperçue à la cour ou à la ville. Elle ne joue aucun rôle politique ou culturel. De surcroît, sa présence fugace dans les récits de ses contemporains est un autre frein à l’étude de sa vie tout comme le caractère incomplet des sources majoritairement concentrées sur la période française.

Son existence est en effet inégalement documentée. Seule, la période 1776-1789 est bien renseignée grâce à la conservation de comptes de sa maison1, des mémoires mensuels de dépenses et des factures des différents fournisseurs qui apportent des indications considérables et des détails exceptionnels sur le quotidien d’une princesse dans le dernier quart du XVIIIe siècle. Aussi l’étude de la vie de Marie-Fortunée d’Este s’appuie-t-elle principalement sur des sources comptables et des correspondances sans toutefois exclure le recours à d’autres documents tels que les archives notariales ou privées, le fonds de la Maison de France, les papiers des princes du sang, ceux du cérémonial royal conservés aux Archives nationales et enfin les ressources de l’Archivio di Stato di Modena.  

Dès lors, l’analyse du mode de vie de la princesse de Conti est située à la confluence de trois tendances historiographiques dynamiques : une histoire de la noblesse revisitée qui s’oriente désormais vers l’histoire des individus au sein de laquelle les historiens explorent les différentes manifestations du comportement nobiliaire et accorde une place importante à la consommation, une histoire de la consommation qui interroge les significations de celle-ci, les rapports que chacun entretient avec les objets qui l'entourent et l’histoire des femmes qui vient questionner l’appropriation féminine des biens et contredire l’image largement diffusée d’une femme frivole et dépensière. Ainsi, l’étude de la consommation de la princesse de Conti doit cerner tous les aspects de son quotidien, les traits de sa personnalité et de son identité. Les comptes de Marie-Fortunée permettent en effet de s’immiscer dans son univers mental, intellectuel, culturel, de saisir sa vie entre les lignes de ses correspondances, les rubriques de ses comptes et de dévoiler la complexité de son identité. L’objectif de ce travail a donc été d’examiner comment l’étude de la consommation de la princesse de Conti est révélatrice de tout ou partie de son individualité. Toutes les dépenses ont été examinées : les frais de bouche, de décoration, d’habillement et de santé, les achats de livres, les dépenses religieuses… avec l’idée que derrière la sècheresse des comptes affleurent une personnalité, une identité. L’analyse de Marie-Fortunée d’Este s’est donc construite dans une interaction permanente, dynamique entre une princesse singulière, les normes dépendantes de son rang, le contexte spécifique de la vie curiale dans le dernier quart du XVIIIe siècle tout en intégrant les différentes temporalités qui rythment son existence.

La thèse a donc été organisée selon un triptyque. Le premier moment est consacré à l’analyse des structures qui organisent le train de vie princier. Le rang de la princesse impose la formation d’une maison. L’analyse des « cadres de la consommation » offre une étude de la maison de la princesse, sa constitution, les voies d’accès à son service. Les chapitres suivants présentent les finances de la princesse, ses ressources et ses dépenses puis les fournisseurs de Marie-Fortunée d’Este.

La seconde partie examine la signification de cette consommation et comment la princesse de Conti cherche à « tenir son rang ». L’étude de ses deux résidences, le château de Triel et l’hôtel parisien, met en exergue l’importance du décor intérieur. Par la recherche du confort, de l’intimité, d’un décor à la mode et renouvelé, la princesse montre son appartenance sociale, dévoile ses goûts et sa sensibilité. Ceux-ci s’expriment dans ses goûts et ses pratiques alimentaires qui font l’objet du chapitre suivant. L’examen de la table princière, permet de rechercher les signes et les indices d’un comportement alimentaire original où se mêlent le respect d’un modèle aristocratique caractérisé par l’abondance et le bon goût, les héritages italiens, les sensibilités religieuses de la princesse et la préservation de sa santé. Enfin, les comptes sont aussi le moyen d’observer l’apparence princière. L’analyse des dépenses d’habillement, de cosmétiques, de soins suggère l’attention croissante portée par Marie-Fortunée d’Este à son corps, à ses maux, ses maladies.

La dernière rubrique de cette étude examine la vie de la princesse dans le monde et sa volonté de dépassement pour se rapprocher de Dieu. Sont successivement étudiés ses déplacements, sa place et sa présence à la cour et la sociabilité aulique puis les occupations princières. La religion emplit de plus en plus son existence comme le prouve l’analyse des pratiques dévotionnelles menée dans le dernier chapitre.

Cette étude de cas apporte ainsi un éclairage sur le train de vie d’une princesse du sang et témoigne de l’importance sociale de la consommation tout particulièrement pour les femmes de l’aristocratie française à la fin du XVIIIe siècle. Elle souligne l’originalité de cette femme d’origine italienne, épouse séparée. Elle a tenté d’examiner la personnalité de Marie-Fortunée d’Este, la complexité des enjeux identitaires qui ordonnent son existence. Les lignes de comptes un peu abruptes ont cependant apporté de très riches informations qui ont permis d’entrer au plus près de la vie d’une femme. L’étude de sa consommation fut l’occasion d’appréhender la densité sociale d’une vie afin de saisir les appartenances de la princesse mais aussi ses expériences multiples. Ce portrait multifocal, a cherché à restituer toute la richesse et l’épaisseur d’un être méconnu. Il a révélé ses goûts, ses centres d’intérêt et a permis de dépasser l’image terne, négative et un peu ironique de cette épouse délaissée et de cette princesse relativement déchue.  

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