CECI n'est pas EXECUTE Mondes américains : Le quotidien des techniques. Pratiques sociales et désordres techniques au XIXe siècle

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Le quotidien des techniques. Pratiques sociales et désordres techniques au XIXe siècle

Revue d’histoire du XIXe siècle

Il s’agit pour ce numéro de la Revue d’histoire du XIXe siècle de sortir des grands récits centrés sur une approche linéaire de l’innovation au profit d’une analyse des usages sociaux et des processus de co-construction de la technique et de la société. Alors que l’historiographie s’est longtemps intéressée quasi exclusivement à l’émergence de nouvelles techniques, de plus en plus de travaux ont envisagé les usages sociaux des objets et le rôle des techniques dans le façonnement quotidien de l’ordre social. Les approches constructivistes, inspirées de la sociologie des sciences, ont largement contribué à ce changement de regard en s’efforçant de démontrer à partir d’objets concrets comment les techniques sont socialement définies et construites. Ce tournant constructiviste des années 1980 a influencé la sociologie pragmatique française et a accompagné l’attention croissante portée aux acteurs et à leurs capacités d’action. Dans ce contexte, la technique est devenue un terrain d’investigation nouveau et riche pour penser l’ordre socio-politique. Cette interrogation a été au cœur d’un foisonnement de recherches au sein des sciences sociales qui se sont interrogées sur les pratiques de la technique (Gilbert Simondon, Bruno Latour…), mais elle reste paradoxalement peu représentée dans les études sur le XIXe siècle, la technique étant annexée à quelques exceptions près à l’histoire de l’économie et de l’industrie.

Pourtant, le XIXe siècle voit la naissance du déferlement technique contemporain : c’est au XIXe siècle que la confiance dans la technique et sa capacité prométhéenne émerge et s’impose comme une caractéristique fondamentale des sociétés capitalistes avancées ; c’est encore au XIXe siècle que la vie quotidienne est bouleversée par les objets techniques.

Interroger la technique à travers le prisme du quotidien, implique donc de passer de l’étude internaliste des structures et des « systèmes techniques » (Bertrand Gille) à l’analyse des acteurs sociaux, de leurs représentations, de leurs pratiques, de leurs moyens de négocier. En sociologie, ce choix a eu pour conséquence le recours à des méthodes nouvelles comme l'observation directe et/ou participante, l'étude des situations d'interactions, de mises en scène, l’étude des histoires familiales et des récits de vie. En histoire, elle implique aussi une réflexion sur les outils et les méthodes à mobiliser dans l’étude des techniques. Penser les techniques au quotidien nécessite d’abord de prendre en compte la créativité des gens ordinaires et les ruses incessantes que chacun s’invente pour cheminer à travers la foule des objets et des produits imposés (Michel de Certeau). Dans cette perspective, penser la technique au quotidien c’est aussi penser les objets techniques et les ensembles qui font dispositifs non plus comme des objets figés, à l’identité stable, mais comme des objets susceptibles de mutations à la fois dans leurs usages et dans leurs formes. À une logique de l’avoir longtemps prédominante en histoire de la culture matérielle, répond ainsi une approche en termes consommatoires qui privilégie l’observation des mutations successives des objets, de leur commercialisation à leurs usages sociaux. Il convient de s’intéresser à l’inscription spatiale des objets et à leurs circulations entre espace public, espace domestique et espace du travail. De la même façon, une interrogation sur la circulation des techniques et leurs pratiques à l’échelle locale comme internationale apparaît nécessaire, qu’il s’agisse de la diffusion de techniques dans le monde rural, colonial ou extra-européen. Dans le prolongement des travaux sur les usages de la technique au XVIIIe siècle, la façon dont cheminent, notamment par les différentes formes de publicité, les objets techniques devient essentielle.

De ce fait, penser la technique au quotidien implique un certain nombre de déplacements méthodologiques et nécessite de mobiliser des sources originales en histoire des techniques – archives privées, archives commerciales… – mais aussi de réinterroger à nouveau frais les sources classiquement utilisées par les historiens des techniques, telles que publicité, manuels techniques ou dépôts de brevet. Ce numéro voudrait donc, à partir d’études de cas, réfléchir à la manière d’écrire sur ces objets, à l’articulation entre technologie et pratiques sociales.

Trois terrains, et les circulations de l’un à l’autre, nous apparaissent propices à de telles interrogations :

Pratiques sociales et techniques au/du travail

Il s’agit de mettre l’accent sur les pratiques multiples de détournement, contournement, bricolages qui façonnent les usages sociaux quotidiens des techniques dans l’atelier, l’usine, le réfectoire, partout où se déploie l’activité du travailleur. Quelques objets pourraient ainsi être questionnés :

- Les innovations invisibles (adaptation des machines aux usages singuliers, bricolage et détournement des procédés de leurs usages prescrits)

- Technique de l’ordre et du désordre dans l’atelier (horloge, cloches, barrières et autres outils de gouvernement des conduites) et leurs contournements

- Le bruit et l’odeur de la technique : techniques d’hygiène, de protection et de dépollution, formes d’appropriation et usages au quotidien

- Différenciation sexuée et générationnelle dans l’usage des outils et des machines

-Techniques de soins hospitaliers et médicaux

-Perruques, gestes, freinages, récupérations des déchets, …

L’espace domestique et les pratiques des objets techniques

Il apparaît qu’un questionnement sur les objets techniques dans la sphère domestique est le moyen de questionner à neuf les pratiques quotidiennes.

-Les machines dans l’espace domestique (machine à coudre, à laver au XIXème, machines d’amateurs, etc.)

-Les dispositifs techniques (hygiène (chauffage, éclairage, etc.), sécurité…)

-Les appareillages techniques du corps, du vêtement (corsets, chapeaux claques…) aux équipements médicaux domestiques

-Les jouets techniques et scientifiques

-Les tentatives pour réformer le quotidien par le truchement des techniques, notamment dans les expériences utopiques (phalanstères, familistères…)

Techniques et récits / narrations (récits, arts…)

Dans le sillage des travaux de Stephen Bann ou Jonathan Crary, tout un champ est à investir dans une période où arts, spectacles et narrations rencontrent la technique.

-Techniques de copies, duplication, reproduction… (des tours à portraits à la photographie, litho, oléographie, système Collas de réduction, photosculpture…)

-Les machineries de l’art (pantographes, tours à portraits, appareils photographiques, etc.)

-Le multiple (impressions, moulages, etc.)

-Les machines à récits (stéréoscopes, lanternes magiques, cinématographes…)

-Les techniques de l’écrit et de l’imprimé (écrire, classer, compter, copier, polycopier…)

-Les usages et appropriation des techniques par les amateurs (appareils de photographie, etc.)

-Sur les techniques de l’information (télégraphe, téléphone et cie)

-Les techniques liées au son (phonographes, piano mécaniques, etc.)

Les propositions sont à envoyer à Manuel Charpy et François Jarrige :

manuel.charpy@wanadoo.fr

fjarrige1@gmail.com

28 février 2011 : Date limite de remise des propositions détaillées (5 000 signes maximum)

septembre 2011 : Une journée d’études avec des discutants se tiendra à Paris

Publication du numéro : fin 2012

Daily life technology - Social practices and technical disorder in the 19th Century

Departing from whiggish grand narratives of innovation, the special issue of the Revue d’histoire du XIXe siècle will analyze the social uses and processes of co-construction of technology and society. Although historical literature has mostly produced views on the rise of new technologies, recent studies have offered new perspectives on the social uses of things and the role of technology in the everyday fashioning of social order. Inspired by the sociology of science, the SCOT programme (Social Construction of Technology), based on the study of individual items, greatly contributed to this new point of view, discussing how technologies were socially defined and constructed. This constructivist turn, which took place in the 1980s, strongly influenced French pragmatic sociology, with greater attention on actors and their agencies. In this context, technology became a new and richer instrument to understand the social and political order. New research in social science, questioning technological practices, has flourished (Gilbert Simondon, Bruno Latour…). However, it paradoxically remains underrepresented in 19th century studies, technology being appended to economic and industrial history.

Yet, the nineteenth century underwent a fast-growing spread of technological equipment, as well as faith in technology and its liberal endowment, which thus became characteristic to advanced capital societies. In addition, 19th century everyday life was dramatically changed by technological items.

Internalist studies of structures and “technological systems” (Bertrand Gilles) have become one way to analyze technology experienced in everyday life, through the analysis of social actors, representations, practices and negotiations. Social studies used new methodologies, such as direct or participant observation, frame and interaction analysis, or had recourse to family or life histories. Historians developed new thinking on tools and methodology implied by technological study: it supposed the taking into consideration of common people’s creativity and the ongoing tricks they employed to make their way into the crowd of goods (Michel de Certeau). In this perspective, technological items and their systems dynamically acquired identities through their uses and forms. Contrasting with the dominant perspective of possession, dominant in material culture studies until recently, consumption studies have recently analyzed the successive mutations of artefacts, from their trade to their social uses, and, extending 18th century studies on uses of technology, have underlined their marketing, retailing and publicity. In terms of space, devices circulated between the public and domestic spheres, with that of labour. It also circulated at local or international scale, in rural areas, colonial or extra-European regions.

The special issue aims at presenting new ways of writing the history of technology, between technological theories and social practices. Methodological shifts and original documentation – private and trade archives – or new approaches to classic sources for historians of technology – adverts, textbooks or patents.

Three main areas, as well as cross-sections, will be privileged:

Social practices and technologies at work

Diversions, bypassing, odd jobs and other social practices that shaped the daily uses of technologies in workshops, factories, canteens will be analyzed.

- Invisible or discreet innovations (adaptations of machines to singular uses, diversions of normalized procedures…)

-Technologies of order and disorder in workshops (clockworks, bells, fences and others tools for the control of behaviours)

-Noises and smells of technology; hygienic artefacts

-Gender and generation differentiation in the tools and machines’ uses

-Medical technics

- Gestures of work

-Work on the side, resistances, recoveries…

Practices of artefacts in the domestic sphere

Questions about technologies in the domestic sphere can also help to think about daily life social practices:

- Home artefacts (sewing machines, washing machines, amateurs’ machines…)

- Building apparatus (hygienic equipments, heating systems, lightings, safety devices…)

- Body and medical equipments, clothing (corsets, opera hats…)…

-Technological and scientific toys

-Attempts for reforming daily life, in particular in utopian experiences (phalansteries, familistères…)

Techniques and narratives

Following Stephen Bann or Jonathan Crary, papers will analyze the numerous cross-sections between the arts, shows, narratives and technology.

- Copy, reproduction… (tour à portraits, photography, oleography, Collas’ system of reduction, photosculpture, casts…)

- Machinery of art (pantographs, cameras, photographic devices…)

- Narrative machines (stereoscopes, magic lanterns, cinematographs…)

-  Writing and printing (writing, filing, counting, copying, duplicating…)

- Amateurs’ artefacts (pyrography, cameras…)

- Communication apparatuses (the telegraph, the telephone…)

- Sound and music tools (phonographs, pianola…)…

Contributions will be sent to Manuel Charpy and François Jarrige :

manuel.charpy@wanadoo.fr

fjarrige1@gmail.com

February 28, 2011: deadline for proposal submission (5,000 characters max.)

September 2011: workshop in Paris, with discussants

Publication: late 2012

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