CECI n'est pas EXECUTE Mondes américains : Actes des derniers colloques de l'AFHE

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Actes des derniers colloques de l'AFHE

Dernière parution

« L'outillage mental des acteurs de l'économie », numéro de février 2009 de la revue Réalités industrielles, une série des Annales des Mines, éditée par les Editions Eska. 130 pages grand format, 23 €.

Cette parution reprend une sélection des textes de ce colloque.

Introduction

Par les organisateurs du colloque : Jean-Claude Daumas, Gérard Gayot, Philippe Minard, Didier Terrier

Dans le domaine de l’économie, on a coutume de considérer l’action sous l’angle du calcul et du risque calculé : plusieurs rencontres scientifiques récentes ont été consacrées à l’information économique, aux modalités de la décision, aux ressources analytiques de la comptabilité. Mais au-delà de la rationalité plus ou moins assurée du calcul tactique immédiat, les stratégies économiques des différents acteurs reposent sur des représentations, des convictions, des manières de se situer dans la société, des façons d’incorporer les schèmes de pensée dominants, bref une vision du monde et de soi, une grille de lecture propre à chacun, mais dont bien des composantes, sont partagées par  le groupe, la classe ou la famille auquel on  appartient, et qui agissent tout à la fois comme autant de contraintes et de ressorts pour l’action.

Quelle vision de l’économie ont les acteurs économiques ? Pour répondre à cette question, il convient bien sûr d’examiner les modalités de construction, d’appropriation et de transmission des représentations mentales et des catégories intellectuelles à travers lesquelles l’action économique est engagée, vécue, pensée et jugée. Ceci entraîne à s’interroger, loin de tout psychologisme, sur les modes de lecture qui permettent aux acteurs d’orienter leur action, mais aussi, plus largement, sur le rapport au monde qui sous-tend leur engagement dans l’action. Dès lors, l’analyse se situe au plus près des acteurs et du terrain de l’action, et non au plan de l’histoire de la pensée économique et des auteurs canoniques.

Cette anthropologie des acteurs en situation suppose, par voie de conséquence, qu’on rende compte non seulement de la « boîte à outils » dont ceux-ci disposent, des indicateurs qui constituent leur « tableau de bord », mais aussi des catégories morales qui orientent leur jugement et leur permettent de qualifier leur action, qu’il s’agisse des représentations de l’espace et du temps, du travail, de la valeur et de la richesse, ou bien des modèles sociaux à partir desquels chacun construit son rôle, définit ses objectifs et légitime sa pratique.

En appliquant ce questionnement à diverses périodes de l’histoire de l’Europe, par-delà les structures anthropologiques, religieuses ou intellectuelles propres à chacune, et quel que soit le degré d’encastrement (embeddedness) de l’ « économique » dans la société », on soumet l’outillage mental des acteurs de l’économie au test de la comparaison dans la longue durée.

Par acteurs de l’économie, il faut entendre tous ceux qui participent directement aux activités de production et d’échange, qu’il s’agisse de personnes singulières ou d’acteurs collectifs. Ce qui conduit justement à se demander en quoi le genre, la classe, la caste, le statut et, d’une manière générale, l’altérité  font la différence, parmi les différents types d’agents (paysans, marchands, négociants, entrepreneurs, banquiers,  commis de l’État, artisans, ouvriers, moines, seigneurs, rentiers, etc.) qui oeuvrent tant à la ville qu’à la campagne, sur terre et sur mer, et ce à quelque échelle que ce soit.

C’est autour des questions soulevées par cette opération de déchiffrement du monde social que l’Association française des historiens économistes (AFHE) a organisé son congrès à Paris les 23 et 24 novembre 2007.

Les participants au colloque les ont naturellement abordées à partir de leurs préoccupations propres. Le lecteur ne manquera pas de constater que les résultats ne sont pas toujours bien assurés et qu’il existe entre les auteurs des différences d’approche importantes. Mais il est vrai qu’il s’agit là d’une approche nouvelle qui, à l’évidence, appelle concomitamment un approfondissement théorique et méthodologique d’une part, un développement des travaux empiriques d’autre part. En tout cas, en invitant les chercheurs à prendre à bras le corps la question de l’outillage mental des acteurs de l’économie, l’AFHE a suscité de nouvelles interrogations et de nouvelles recherches. Ce qui, une nouvelle fois, a démontré le rôle indispensable de notre Association qui est capable de faire travailler ensemble des chercheurs de générations, de sensibilités, voire d’écoles différentes, et de jouer un rôle d’incubateur en promouvant la recherche sur de nouvelles questions.

La mise en œuvre de ce programme de recherche a exigé la mobilisation de sources très diverses. En premier lieu, bien sûr, les archives personnelles que sont les correspondances, journaux intimes et  carnets de route, explicitement consacrées au déchiffrement personnel du monde environnant. Par delà ces écrits du for intérieur, les intervenants ont aussi utilisé largement les documents très variés – pétitions, mémoires adressés aux autorités, cahiers de doléances, projets de lois…– où des groupes plus ou moins larges formulent de diverses manières leurs attentes, leurs espoirs et leurs revendications. Mais plus largement, et par-delà  ces discours explicites, ils ont aussi fait appel à l’ensemble des sources de la pratique, dans leur infinie diversité : manuels de changeurs et de marchands, livres de comptabilité, règlements de corporations, contrats de métayage, comptabilités d’entreprises, enquêtes parlementaires, rapports d’inspection… C’est qu’en effet, toutes ces sources donnent à lire en creux, de façon indirecte, un rapport au monde, des manières de voir et de penser à partir desquelles il est possible de décrypter les schèmes, concepts et jugements qui fondent et expriment tout à la fois l’action et l’impensé de l’action.

Les communications d’une quinzaine de chercheurs, dont beaucoup encore aux portes de la carrière académique, ont été regroupées ici autour de quatre grands thèmes: « des catégories aux pratiques », « les représentations de l’ordre économique », « l’horizon intellectuel des patrons », et enfin « quand l’Etat pense l’économie ». Sans doute, ce recueil est-il un peu disparate, mais qu’importe, s’il alimente la réflexion du lecteur en lui donnant l’envie de circuler entre les objets, les périodes et les questions.

On comprendra que la volonté de nous interroger sur la vision que les acteurs ont de l’économie nous ait conduit à demander d’ouvrir nos travaux à Claude Riveline, professeur de gestion à l’Ecole des mines de Paris. N’est-il pas l’auteur d’un article qui nous a beaucoup donné à réfléchir : « Les lunettes du prince » (Annales des Mines. Gérer et comprendre, décembre 1997) où il invitait précisément à se demander ce que voit le souverain et ce qui fonde ses décisions ? Il a plaidé, avec l’enthousiasme qu’on lui connaît, pour un rapprochement entre chercheurs en gestion et historiens de l’économie, lesquels s’intéressent également, mais par des voies différentes, aux raisons des acteurs, à ce qui fonde leur rapport au monde et leur engagement dans l’action. A nous, maintenant, de trouver ensemble les moyens pour donner forme à ce rapprochement.

Colloques précédents

  • François Crouzet (dir.), Le négoce international (xiiie-xxe siècles), Paris, Économica, 1989, 249 p.

  • André Gueslin et Pierre Guillaume (dir.), De la charité médiévale à la sécurité sociale. Économie de la protection sociale du Moyen-Âge à l'époque contemporaine, Paris, Éditions ouvrières, 1992, 337 p.

  • Évelyne Crouzet-Pavan (dir.), Environnement et développement économique, numéro spécial de la revue Histoire, Économie & Société, n° 3, 1997.

  • L’entreprise aujourd’hui, numéro spécial de la revue Histoire, Économie & Sociétés, n° 4, 2001.

  • Dominique Barjot et Olivier Faron (dir.), Histoire, économie et démographie. Migrations, cycle de vie familiale et marchés du travail, Cahiers des Annales de démographie historique, n° 5, 2002.

  • Dominique Barjot (dir.), Où va l’histoire économique ?, Historiens et Géographes, revue de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie, n° 378, 2002. Voir ici la riche partie « liens Internet » du dossier.

  • Gérard Béaur, Hubert Bonin et Claire Lemercier (éd.), Fraude, contrebande et contrefaçon de l'Antiquité à nos jours, Genève, Droz, 2007, 832 p. Prospectus.

  • Catherine Vuillermot (éd.), La monnaie, personnage historique (Revue européenne des sciences sociales, Cahiers Vilfredo Pareto, vol. xlv, no 137, Genève, Droz, 2007).

EHESS
Hypothèse