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Développement et crise dans une économie préindustrielle : monnaie et crédit en Europe à la fin du Moyen Age

par Luciano Palermo

Ce texte a été composé à l'occasion du Congrès 2010 de l'AFHE. Une version pdf est également disponible.

Je voudrais tout d’abord exprimer ma gratitude pour avoir été invité à participer à cet important congrès de l’Association française d’histoire économique, et vous transmettre en retour les salutations du Président de la Società Italiana degli Storici dell’Economia, le prof. Antonio Di Vittorio, de l’Université de Bari.

Le but de cette relation est d’analyser certains éléments du cycle économique de croissance et de crise qui a caractérisé l’économie européenne à l’époque du bas moyen-âge.

L’histoire économique et l’analyse économique, on le sait bien, s’épaulent réciproquement; aussi, la phase critique que traverse notre monde actuellement nous pousse-t-elle à reprendre ces thèmes historiques et à en mettre en évidence certains aspects spécifiques, qui sont les suivants:

a) le rôle des marchés des monnaies et du crédit, à l’époque du bas moyen-âge, pendant la phase de croissance et durant la phase successive de crise ;

b) la présence et la fonction à ces époques des mécanismes d’inflation et de déflation ;

c) la nécessité, imposée par la phase critique, de mettre en place d’importantes opérations de restructuration auprès des institutions financières et des établissements bancaires.

Naturellement, il convient d’aborder ces thèmes, fortement présents également dans le débat économique et politique international actuel, en tenant compte de la spécificité historique du cycle économique au bas moyen-âge et du fait que le système économique dominant dans l’Europe de cette époque était caractérisé par des modes de fonctionnement profondément éloignés et différents de ceux en vigueur à notre époque.

Plusieurs facteurs structurels spécifiques apparaissent:

a) l’économie médiévale était dominée par la production et la consommation des biens agricoles; aussi, pour comprendre les raisons profondes de l’expansion économique et de la crise qui lui a suivies, nous faut-il donc, en dernière analyse, nous pencher sur les thèmes liés à l’agriculture;

b) si le cycle économique, au bas moyen-âge, concerne tous les aspects de la vie économique, tous les secteurs ne se comportèrent cependant pas de la même façon: la présence de mécanismes de croissance, de crise et de résistance à la crise était conditionnée par la qualité des innovations introduites, de manière différenciée, dans les divers secteurs de production, de la consommation et des échanges;

c) du fait que la circulation monétaire et le crédit furent objet d’innovations à la fois importantes et profondes, ils jouèrent un rôle extrêmement dynamique et fournirent un soutien efficace à l’expansion du système des échanges et à la croissance de la production et de la consommation des biens agricoles et autres, au moment de la phase critique.

Il est également nécessaire de tenir compte, outre ces considérations sur les caractéristiques d’ordre structurel, des mécanismes à l’origine des éléments conjoncturels qui provoquèrent la succession de phase d’expansion et de phase critique.

La durée et l’intensité de la phase expansive étaient certainement déterminées, comme c’est du reste le cas aujourd’hui, par la quantité et la qualité des innovations introduites dans les divers secteurs de la production, de l’échange et de la consommation.

La durée et l’intensité de la phase critique étaient déterminées, quand à elles, par des mécanismes de fonctionnement totalement différents de ceux que nous avons coutume d’identifier dans les économies industrielles avancées de notre époque. En effet, à l’époque préindustrielle, les facteurs critiques n’étaient pas déterminés par l’insuffisance de la demande, comme c’est le cas pour le modèle classique, dit de Keynes, des crises économiques, mais bien plutôt par la carence de l’offre. Cette dernière pouvait à son tour être déterminée par la chute de la production ou par des manœuvres commerciales qui empêchaient la production d’accéder au marché et donc de se transformer en véritable offre. Ces mécanismes conjoncturels étaient actifs, bien entendu, dans le secteur prédominant des biens agricoles où, la demande étant constamment élevée et surabondante, l’offre déterminait les caractéristiques de la conjoncture.

Quand l’offre des biens agricoles chutait, entraînant ainsi une hausse des prix, le caractère inélastique de la demande (on ne pouvait, bien entendu, se passer de nourriture) provoquait la dilatation de la crise également dans les secteurs de la production et de la consommation des biens non agricoles; en effet, les salariés employaient la presque totalité de leur revenu à l’acquisition des indispensables biens alimentaires, ce entraînait la chute de la demande de biens non agricoles. L’objection relative à la présence d’une importante autoconsommation est facilement démontable, en ce sens que si l’on considère que l’autoconsommation soustrayait, ce qui est indéniable, une part de demande effective sur le marché, elle lui soustrayait également, du même coup, une part équivalente d’offre.

Nous avons expérimenté l’application à l’économie médiévale de ce modèle d’interprétation de la crise préindustrielle, basé surtout sur les élaborations d’Ernest Labrousse, et plus récemment, de Pierre Vilar, d’Herman van der Wee, et nous avons relié ce modèle de crise, essentiellement lié à la croissance des prix des denrées agricoles, et donc à ce «cherté» (charestiacharus) que nous appelons «famine», aux élaborations d’Amartya Sen. Les résultats apparaissent très encourageants. Le manque de temps m’empêche, en cette circonstance, de poursuivre sur ce thème et d’énumérer les publications scientifiques qui s’en occupent, mais le texte écrit qui sera remis pour la publication des Actes du Colloque permettra de remédier à cette limitation.

La phase expansive : l’équilibre entre l’offre et la demande

Cette interprétation de la présence dans l’économie médiévale d’une phase de croissance puis d’une crise, perceptible à travers l’analyse du système des prix, nous amène à souligner l’importance de la circulation monétaire, c'est-à-dire de l’instrument avec lequel les prix sont mesurés. Cet instrument, à son tour, n’était pas un simple témoin de l’état de santé du marché, mais il agissait sur lui et provoquait des changements et des ajustements ultérieurs.

Pour tenter de comprendre le rôle de la monnaie et du crédit dans le cycle économique du bas moyen-âge, il est nécessaire de partir de l’analyse de leurs marchés; l’étude des niveaux et des formes de l’offre et de la demande de monnaie et de crédit aide, en effet, à connaître les mécanismes économiques qui ont fourni un soutien à la phase de croissance et successivement amené à l’apparition de la crise.

Dans le système économique du bas moyen-âge qui, initialement, employait presque exclusivement l’or et l’argent comme monnaie et ignorait quasiment les titres de crédit sur papier, l’offre de monnaie coïncidait de manière immédiate – abstraction faite des variations possibles de la vitesse de circulation – avec la quantité globale disponible de métaux précieux. Cette quantité dépendait, à son tour, de deux variables principales: la production minière et la situation des échanges commerciaux. Au début de la phase expansive, c’est bien connu, ces deux sources principales de monnaie étaient plutôt limitées: la production minière était encore réduite et les échanges commerciaux provoquaient un reflux d’or vers l’Orient.

Les hauts et les bas que connaît l’offre de monnaie, toutefois, n’ont pas une existence véritablement propre, mais dépendent de la nécessité qu’en ont les opérateurs commerciaux. Malgré les limitations évoquées plus haut, autour de l’an mille, alors qu’une phase de croissance économique se faisait jour, l’offre de monnaie sur les marchés européens occidentaux était, somme toute, adaptée au niveau peu élevé des échanges: on ressentait par contre une carence d’or dans le commerce international. Par ailleurs, l’existence de cet équilibre initial entre l’offre et la demande de monnaie émerge du fait que, pendant nombre de siècles, les autorités politiques considéraient la présence d’une monnaie forte inutile et estimaient la seule frappe de monnaie suffisante pour leur besoin en argent. Stéphane Lebecq a écrit : «Il faut dire qu’une véritable révolution monétaire avait eu lieu en Occident entre la fin du VIIe siècle et la fin du VIIIe». Et en réalité, cette révolution si précoce amena la monnaie d’argent à être le protagoniste solitaire de la circulation monétaire européenne pour de longs siècles; il l’était encore quand l’Occident entama son processus de croissance.

Toutefois, la croissance économique modifia l’équilibre monétaire: la quantité et la valeur des marchandises produites et commercialisées augmentaient, ainsi que les occasions d’investissement; en somme, la demande de monnaie augmentait, au point que l’offre commença à être insuffisante. Au cours de la phase expansive du bas moyen-âge, deux phénomènes contradictoires survinrent: la rapide expansion du nombre et de la valeur des échanges amplifiait fortement la demande de monnaie; d’autre part, l’offre de monnaie, quant à elle, croissait beaucoup plus lentement et était freinée par de nombreuses difficultés. La situation devint insoutenable au XIIIe siècle. Dans la phase culminante de la croissance à l’époque du bas moyen-âge, un important phénomène eut lieu sur le plan de l’offre de la monnaie: la création (à Venise) d’une monnaie bien plus lourde et le retour à l’or à Florence et à Gênes. Ces nouvelles monnaies plus lourdes se répandirent dans les zones les plus développées (en Italie du Nord, ainsi que partiellement en France et dans les Flandres). On tentait ainsi de compenser le retard de la circulation monétaire par rapport à la croissance des échanges. Mais si la frappe de monnaies plus lourdes, dotées d’une majeure capacité unitaire d’achat, donnait au marché un instrument plus adapté pour les transactions commerciales, cela n’augmentait pas pour autant la quantité globale de métal précieux en circulation, et c’est pourquoi, malgré un certain accroissement de la production d’argent, l’offre de monnaie se démontrait insuffisante par rapport à l’augmentation de la demande qui accompagnait la croissance économique.

Toutes ces caractéristiques du marché monétaire ont contribué à créer les conditions idéales pour le développement du marché médiéval du crédit.

On passa rapidement d’une phase issue du haut moyen-âge, caractérisée par l’équilibre substantiel de l’offre et de la demande de monnaie déjà évoqué, où le crédit avait encore un rôle limité, à une phase s’inscrivant désormais dans le bas moyen-âge, où le marché du crédit connut une expansion significative. Et ceci eut lieu au moment où les contacts avec les cultures hébraïque, byzantine et islamique, desquelles l’Occident avait beaucoup à apprendre quant aux techniques et opérativités économiques. Ainsi, au fil du temps, à mesure que l’offre de monnaie se révélait globalement insuffisante par rapport aux possibilités qu’avaient les opérateurs économiques d’investir dans la production ou dans l’échange, le marché du crédit prenait de plus en plus d’ampleur, se structurant et acquérant des caractéristiques destinées à durer longtemps.

De ce point de vue, le niveau élevé du tau d’intérêt pouvait certes constituer un obstacle, pas insurmontable cependant. Dans le monde médiéval européen, les niveaux élevés du risque et les volumes généralement insuffisants de l’offre de capitaux monétaires par rapport à la demande se conjuguaient et avaient pour effet de maintenir le tau d’intérêt élevé, et souvent même très élevé. À cette phase, le tau d’intérêt ne pouvait pas encore être contrôlé par les autorités publiques et encore moins par les interdits religieux. Il n’est paradoxal de dire que il était déterminé par les besoins réels du marché.

C’est dans cette Europe du bas moyen-âge, qui avait entamé une croissance significative et qui commençait à prendre conscience des limites économiques d’une offre de monnaie insuffisante, que les marchands et autres opérateurs des villes et des régions les plus prospères et les mieux pourvues en monnaie se mirent à proposer du crédit. Et parmi eux, ceux qui vivaient dans des villes italiennes, et encore dans les villes méditerranéennes et flamandes, sont ceux qui surent le mieux saisir à temps cette opportunité. En effet, à l’époque des premiers siècles du bas-moyen âge, l’Italie du Nord connaissait des conditions particulièrement favorables pour exporter les grandes quantités de monnaie qui s’amassaient dans ses villes en exploitant efficacement ses revenus, dérivant de sa position dans le système des échanges commerciaux. C’est ainsi que se forma rapidement une structure hiérarchique entre les diverses économies régionales européennes, et l’afflux de crédit, qui allait des zones mieux fournies en monnaie vers celles qui l’étaient moins, devint si consistant qu’il marquait les confins mêmes de la croissance économique et conditionnait les affaires politiques et sociales des états régionaux et nationaux européens.

La crise, la déflation, la réorganisation du système bancaire.

Dans les dynamiques économiques relatives au bas moyen-âge, caractérisées par l’augmentation constante des occasions d’investissement, le danger était donc constitué de l’offre de monnaie inadéquate; et effectivement, quand le processus de croissance commença à s’affirmer, les zones européennes qui pouvaient se dire suffisamment fournies en monnaie étaient peu nombreuses, et correspondaient également aux régions les plus prospères. Mais après trois siècles ininterrompus de croissance économique, cette même insuffisance globale de liquidité, qui avait toujours favorisé l’offre exercée par les prêteurs et les marchands-entrepreneurs, commença à laisser voir ses aspects les plus risqués. Les spécialistes de la question ont en effet souligné plusieurs fois le rôle déterminant que cette carence de liquidité a joué dans les faillites de compagnies mercantiles et d’établissements bancaires entre les dernières décennies du XIIIe siècle et la première moitié du XIVe, et donc exactement au moment où la phase critique commençait à se faire sentir: il est souvent arrivé que ces opérateurs économiques et leur compagnie se retrouvent en faillite, alors même qu’ils étaient à la tête de patrimoines conséquents, simplement par manque de liquidité.

À l’époque du bas-moyen âge, la déflation avait été déterminée, comme nous avons pu l’observer, par l’insuffisance de liquidité ; cette situation entraînait l’augmentation de la valeur de la monnaie et à l’opposé la chute des prix monétaires des marchandises. L’augmentation de la valeur de la monnaie avait, bien entendu, des effets sur le tau d’intérêt auquel elle était prêtée, qui montait, entraînant à son tour une série de conséquences sur le plan de l’économie réelle, un tau d’intérêt très haut faisant baisser la propension des entrepreneurs à investir. Les opérateurs économiques du XIVe siècle étaient généralement en mesure d’évaluer avec une précision remarquable ces mécanismes économiques, même s’ils n’étaient certes pas encore en mesure de les théoriser, puisqu’ils faisaient partie intégrante de leur vie économique quotidienne.

Dans ces situations de difficulté, il advenait que toute variation positive de la demande de liquidité, dérivant par exemple du développement des échanges, finissait par ses heurter à la rigidité de l’offre, car elle augmentait le coût de l’argent et imposait un climat économique de déflation. Certes, il y eut de meilleures phases (certains ont parlé d’une petite inflation au XIIIe siècle dans certaines zones, en majorité italiennes) et certaines aires étaient mieux fournies en liquidité, mais d’une manière générale, ce n’est qu’après la découverte des mines américaines, au XVIe siècle, que se produira une véritable inversion de tendance, définitive, vers l’inflation.

Au cours du XIVe siècle, en effet, un ensemble de circonstances contribuera à affaiblir l’offre de liquidité: l’afflux des métaux vers les marchés orientaux, la chute de la production minière et les problèmes que comportait alors l’importation d’or depuis l’Afrique, les difficultés à trouver de nouveaux gisements, la réduction de l’activité des ateliers de frappe, pour n’en mentionner que quelques-unes. Le système de crédit était par ailleurs ultérieurement affaibli par la crise que rencontrait alors le système des échanges commerciaux, dont les opérateurs n’étaient parfois pas en mesure de solder leurs dettes envers les prêteurs. Par ailleurs, l’affaiblissement du secteur des échanges poussait les marchands-entrepreneurs à investir leurs ressources plutôt dans celui du crédit, ce qui conférait à leurs entreprises des caractéristiques qui les assimilaient de plus en plus à des établissements de type bancaire, les exposant par là-même – comme le fait justement remarquer Armando Sapori – à une participation impliquant une part importante de leur revenus sur le marché du crédit, lequel exigeait une grande liquidité monétaire et qui comportait, en regard des circonstances, un très haut risque de faillite. Les lettres des marchands florentins opérant à Rome à l’époque, que je publierai sous peu, constituent en ce sens un témoignage intéressant qui illustre bien la situation de l’époque. Ils déclarent en effet explicitement dans l’une de ces lettres qu’ils ne veulent pas entrer dans le commerce, mais qu’ils désirent agir surtout sur le marché de l’argent, dont la valeur était justement charo, et qui pouvait donc leur procurer des profits plus importants.

Les conséquences négatives de la déflation se firent sentir tout au long du XIVe siècle et sont partie intégrante de l’histoire de la crise économique du bas moyen-âge. Mais tous les secteurs ne furent pas touchés de la même manière: ceux qui démontraient une plus forte propension à l’innovation résistèrent mieux à la crise. Et c’est ainsi que les marchands-banquiers européens sortirent de cette situation très difficile, comme le démontrent les études de Federigo Melis, en recourant à une série impressionnantes d’innovations. Si, sous le profil de l’économie mercantile, la réaction s’est surtout basée sur l’élargissement des marchés et la réorganisation de l’entreprise, sur le plan de l’économie du crédit, on peut parler d’une véritable reconstruction du système, qui expérimenta, entre le XIVe et le XVe siècle les principaux instruments de l’activité du marchand-banquier.

Les caractéristiques principales du système bancaire moderne, tel que nous le connaissons, sont toutes nées, pour une large part, en réaction à la crise du XIVe siècle, et leur introduction a constitué l’une des plus grandes opérations de restructuration économique et financière de notre histoire. En voici les principaux passages :

a) pour préserver l’entreprise le plus possible des contrecoups liés à l’éventuelle faillite de ses activités périphérique, on inventa le système de holding: l’activité bancaire, à cette phase, continuait en effet à constituer une composante de la complexe entreprise du marchand-entrepreneur et bénéficiait donc de toutes les innovations introduites dans celle-ci;

b) afin d’établir le contrôle le plus efficace possible de la richesse de l’entreprise sous toutes ses formes, les innovations produites par la nouvelle comptabilité, y compris la méthode de la partie double, étaient appliquées également à l’activité de crédit, ajoutant ainsi à la comptabilité générale de l’entreprise des modalités spécifiques dérivant du fonctionnement du marché du crédit (telles que, par exemple, l’enregistrement du mouvement des lettres de crédit);

c) de manière à rendre plus efficace le rôle de la banque sur le marché européen du crédit, les banquiers pénétrèrent encore plus profondément dans les milieux politiques et financiers des administrations publiques, fournissant aux institutions des services économiques, monétaires et de change plus complexes, exerçant même des fonctions dans l’administration publique ou s’emparant parfois même directement du pouvoir;

d) dans le but d’accroitre la productivité de l’entreprise, l’on s’efforça de réduire le cout du système des paiements, du déplacement des monnaies, de la concession de prêts, de la récupération des crédits, du paiement des dettes.

Ce dernier point constituait l’objectif le plus difficile à atteindre, car il impliquait de véritables innovations sur le plan du fonctionnement même de l’entreprise, et c’est justement dans ce secteur que les résultats les plus importants ont été obtenus au cours du XIVe siècle et au début du XVe. Quelques exemples qui valent pour tous : le crédit d’exercice, c'est-à-dire la fourniture réciproque, entre toutes les entreprises, des quantités de ressources exactement nécessaires à l’exercice d’opérations spécifiques d’investissement, le compte courant bancaire, le chèque bancaire, le système de la lettre de change, la monnaie scripturale ou bancaire. Avec ces techniques opérationnelles et d’autres encore, qui naîtront où, tout du moins, se diffuseront définitivement au cours du XIVe siècle, le système bancaire intervenait directement au niveau de l’offre de liquidité: un chèque ou une lettre de change, qui pouvait même comporter un endos, c'est-à-dire une mention signée par le bénéficiaire indiquant le nom d’une tierce personne à laquelle effectuer le paiement, était déjà, à tous les effets, monnaie émise par les opérateurs singuliers et acceptée par leurs correspondants.

Dans le secteur du crédit, le renoncement au nantissement et à l’acte notarié pour porter à terme l’opération de crédit constituaient d’autres formes importantes de simplification et d’épargne. Le nantissement et le recours au notaire devenaient superflus dès lors que la consignation d’une partie comptable à crédit sur le grand livre du prêteur, et de la partie comptable correspondante à débit sur le grand livre de qui recevait le prêt, suffisaient à rendre certaine et digne de foi l’opération de crédit. Des registres bancaires et mercantiles entiers de l’époque, contenant l’enregistrement de milliers de lettres de change sont parvenus jusqu’à nous, chacune de celles-ci constituant la trace, à la fois rapide et peu coûteuse, d’une opération de crédit. Ce système reposait entièrement sur le principe de fiducia, lequel n’était pas une simple attitude mentale, mais un véritable instrument économique en mesure d’indiquer le niveau de fiabilité des partenaires bancaires ou commerciaux. Au bas moyen-âge, le monde bancaire et marchand était constitué de groupes relativement réduits de personnes hautement spécialisées dans leur travail et qui, généralement se connaissaient; trahir la confiance réciproque était un acte très grave, car il coupait immédiatement son auteur du monde des affaires.

L’économie médiévale n’avait pas besoin d’une entreprise exclusivement bancaire, et pourtant, la route se dirigeait désormais dans cette direction; dès le XVe siècle, en effet, dans de nombreux établissements, si l’activité bancaire n’était pas encore l’activité exclusive, elle en constituait toutefois désormais l’activité principale. Il s’agissait des entreprises qui se préparaient à dominer le nouveau monde qui naissait au fur et à mesure qu’il parvenait à se libérer des obstacles de la crise économique.

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